💨 Réhabiliter une gare, réinventer l’air : dix ans d’ingénierie intégrée pour transformer Saint-Michel Notre-Dame

En 2016, la gare Saint-Michel Notre-Dame (RER C) engage un vaste projet de réhabilitation. Très vite, un défi majeur apparaît : la gare est l’une des plus exposées aux particules fines1 – les fameuses PM10 et PM2,5 – du réseau souterrain. SNCF Gares & Connexions demande alors à AREP d’apporter un éclairage scientifique et opérationnel à ce sujet, afin d’explorer toutes les pistes crédibles. C’est le début d’une démarche qui durera près de dix ans, mêlant recherche, ingénierie, architecture et innovation.

Les premières explorations : ventilation, filtration… et leurs limites

Dès les premières études, l’ingénierie d’AREP explore des solutions techniques classiques avec l’équipe CVC2. Deux voies sont analysées en parallèle :

  • Remplacer les moteurs de désenfumage par des moteurs bi-modes, capables d’assurer à la fois la sécurité incendie et une ventilation de confort. Les contraintes d’espace et d’acoustique rendent toutefois l’option impossible à déployer.

  • Installer des caissons de filtration en zone quai, co-développés avec un industriel. Là encore, les volumes disponibles et les contraintes fonctionnelles ne permettent pas d’atteindre des performances suffisantes.

Ces deux explorations, bien qu’abandonnées, jouent un rôle essentiel : elles révèlent que les solutions techniques seules ne suffiront pas. Il faut comprendre ce qui se passe physiquement dans l’air de la gare.

Construire une compréhension scientifique : une recherche incrémentale

En parallèle des études CVC, L’hypercube obtient l’accès et analyse les nombreuses données SNCF de qualité d’air déjà mesurées. Très vite, il devient clair qu’aucun outil existant ne permet d’expliquer finement la dynamique des particules dans une gare souterraine.

L’équipe de L’hypercube décide donc de développer ses propres modèles.

  • Un premier modèle PM10 est élaboré pour relier trafic ferroviaire, ventilation, dépôts et concentration mesurée ( publication ).

  • Un second modèle, plus complet, distingue deux classes de particules (PM10 et PM2.5). Il permet de mieux comprendre le comportement différencié des fines et des grosses particules ( publication )

Ces modèles, validés scientifiquement, deviennent progressivement des outils d’exploration utilisables par les ingénieries du projet.

Un paramètre clé manquait : combien d’air les trains déplacent-ils vraiment ?

Les modèles mettent en évidence un phénomène fondamental : l’effet piston, c’est-à-dire le renouvellement d’air provoqué par les trains lorsqu’ils entrent ou sortent de la station.

Mais son intensité réelle dans la gare de Saint-Michel Notre-Dame restait inconnue.

Pour y répondre, AREP s’associe au CSTB3 et développe un cadre de simulation CFD décrivant dynamiquement le passage d’un train. Des mesures anémométriques réalisées sur site permettent de valider le modèle. Ces deux étapes ont été présentées lors de la conférence OpenFOAM 2018 ( publication ).

Effet Piston
Gare de Saint Michel Notre Dame - Simulation dynamique du renouvellement d'air entrainé par le passage du train dans la gare (RER C) © AREP L'hypercube

Pour la première fois, il devient possible de quantifier précisément les débits d’air traversant les ouvertures de la gare.

Quand la science ouvre une piste architecturale : réouvrir les baies sur la Seine

Historiquement, la gare disposait d’une douzaine de baies donnant sur les quais de Seine. Elles avaient été murées dans les années 1970 à la suite d’événements de crue.

Les architectes d’AREP formulent alors une intuition :

Et si l’on réouvrait ces baies pour faire respirer la gare ?

Grâce au modèle équationnel et aux simulations CFD, il est possible de tester ce scénario.

Les résultats sont frappants : une ouverture totale permettrait une amélioration de la qualité de l’air de près de 75 %.

La recherche n’est plus seulement un outil d’analyse : elle inspire désormais des choix de conception.

Une démarche itérative entre architecture, acoustique, hydraulique et R&D

Lors des études de maîtrise d’œuvre, deux contraintes majeures apparaissent :

  • le bruit : une ouverture totale serait incompatible avec les riverains du quai de Seine ;
  • la protection contre la crue centennale : la gare doit rester sûre en cas de montée du fleuve.

Architectes, ingénieurs CVC, acousticiens, hydrauliciens et chercheurs travaillent en boucle courte, en testant plusieurs configurations. L’hypercube évalue à chaque étape l’impact sur la qualité de l’air, permettant d’arbitrer entre performances environnementales et contraintes opérationnelles.

Contraintes
Illustrations des itérations, depuis les baies fermées, jusqu'à la solution de vitrage incliné © AREP

Finalement, une solution innovante émerge : des vitrages inclinés, bloquant l’eau, atténuant le bruit et permettant la circulation d’air par leur partie supérieure.

Ce dispositif permet une amélioration de l’ordre de 48 % de la concentration de particules fines, tout en respectant les réglementations acoustiques et en étant protégé contre la crue centennale !

Une démarche reconnue et validée

En 2021, le projet reçoit le Grand Prix National de l’Ingénierie Syntec ( billet de blog ), récompensant la démarche intégrée et l’alliance entre recherche et architecture.

La gare réhabilitée est inaugurée en 2023. En 2025, une nouvelle campagne de mesures indique une amélioration d’environ 50 % des particules fines (moyenne PM10 et PM2,5) par rapport à 2019 (résultats à consolider).

Perspective
Gare de Saint Michel Notre Dame (RER C) – Perspective des quais (déc. 2019) © SNCF Cares & Connexions / AREP

Conclusion – Une décennie d’innovation intégrée

L’histoire de Saint-Michel Notre-Dame montre qu’améliorer la qualité de l’air dans les gares souterraines ne relève ni d’un geste technique isolé, ni d’un modèle théorique déconnecté.

Elle naît d’un dialogue continu entre recherche, ingénierie, architecture et exploitation. Les premières études CVC, les modèles développés par L’Hypercube, la simulation CFD, les arbitrages acoustiques et hydrauliques, puis les mesures post-chantier s’inscrivent dans une même trajectoire.

Dans un domaine où les phénomènes sont complexes et les contraintes nombreuses, cette démarche progressive et intégrée a permis de maintenir un fil cohérent entre recherche, conception et exploitation, jusqu’à produire des effets mesurables sur la qualité de l’air et révéler tout le potentiel architectural du lieu.


  1. particules en suspension dans l’air dont le diamètre est inférieur à 10 et 2,5 µm respectivement. Pour en savoir plus  ↩︎

  2. CVC : Chauffage, Ventilation & Climatisation ↩︎

  3. CSTB : Centre Scientifique et Technique du Bâtiment ↩︎