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Îlot de Chaleur Urbain

icu strasbourg
Fig. 1: Illustration des niveaux de confort en environnement urbain dense : Parvis de la gare de Strasbourg

Phénomène

La ville est sujette au phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU), qui est caractérisé par des températures plus élevées dans la conurbation par rapport à la campagne. Cette différence provient à la fois des caractéristiques géométriques et du type des surfaces, différents dans chaque environnement :

  • Le “piégeage radiatif” qui survient en journée, lorsque les réflexions des rayons solaires augmentent la quantité d’énergie absorbée, ainsi que la nuit, du fait de la relative étroitesse des rues par rapport aux façades, inhibant le refroidissement avec le ciel.
  • La tortuosité des rues limite la vitesse du vent par rapport à un milieu dégagé et réduit ainsi le rafraîchissement des surfaces par convection.
  • La forte minéralisation de l’environnement urbain implique qu’il stocke plus de chaleur qu’un sol végétal, rendant le refroidissement nocturne moins perceptible.
  • L’évapotranspiration de la végétation basse ou haute (le fait qu’elle dégage de l’eau sous forme de vapeur – d’où la nécessité de l’arrosage) permet de maintenir une température de feuillage relativement basse. L’ombrage apporté par la couronne des arbres engendre également une diminution des températures par rapport à un sol sans couvert.

Le phénomène d’ICU est illustré sur la Fig. 2 qui suit, tirée des Cahiers de l’ APUR et représentant l’écart de température entre le centre-ville de Paris et le milieu rural environnant.

APUR ICU
Fig. 2 : Illustration de l'effet d'îlot de chaleur urbain, réalisée par l'APUR

Dans le contexte du réchauffement climatique, qui engendre une hausse de la fréquence et de l’intensité des épisodes caniculaires, il apparaît comme impératif de pouvoir anticiper les niveaux de température et de confort dans la ville de demain.

Différents types de modèles numériques existent pour prévoir le climat urbain, de l’échelle régionale à celle de la rue :

  • Le modèle TEB développé au CNRM permet de simuler à une large échelle les évolutions de température d’air en couplant une modèle de canopée urbaine avec des rues “canyon” simplifiées comportant un modèle unidirectionnel de transfert thermique, du sol vers la canopée.
  • Les outils de simulation couplés, comme SOLENE-micro climat ou ENVI-MET offrent un niveau de détail plus élevé pour la modélisation de l’environnement urbain et proposent une résolution couplée des transferts de chaleur par convection et rayonnement avec une simulation aéraulique anisotherme. Cette approche, qui inclut le comportement thermique dynamique des bâtiments et de leurs équipements ainsi que des bilans hydriques sur la végétation, a l’avantage certain de la précision. Le coût calculatoire est néanmoins élevé, avec des temps de calculs de l’ordre de plusieurs dizaines d’heures pour un temps simulé de l’ordre de la semaine.

L’expérience du processus de conception montre qu’il est par nature itératif : ainsi de nombreuses variantes de projets doivent être évaluées. Il importe donc de disposer d’un modèle suffisamment détaillé pour évaluer l’impact de l’aménagement sur le comportement thermique d’un espace et assez rapide pour permettre le test de variantes et l’analyse de sensibilité aux paramètres requis durant la conception.

Une approche : le couplage faible

Afin de répondre à ce besoin d’itérer, un modèle alternatif a été développé au sein d’AREP, basé sur un découplage des calculs thermique et aéraulique. L’idée est de valoriser les calculs de mécanique des fluides réalisés pour déterminer le champ des vitesses d’air et d’améliorer la précision du calcul à moindre coût. Les logiciels libres EnergyPlus et OpenFOAM sont utilisés à cette fin. En termes de placement, la méthode développée vise à permettre une simulation annuelle du phénomène, notamment pour évaluer la fréquence des épisodes caniculaires sur une saison estivale complète. En termes d’échelle spatiale, la simulation du bâtiment jusqu’au quartier est réalisée. La Fig. 3 qui suit illustre cette situation ainsi que les échelles de temps et d’espaces abordés par les outils existants.

APUR ICU
Fig. 3 : Situation du modèle par rapport à certains outils existants.

Modèle thermique

On utilise les capacités du moteur de simulation thermique dynamique des bâtiments EnergyPlus pour obtenir les flux solaires incidents en façade et les températures des différentes surfaces en fonction de leur composition (albédo, matériau, épaisseur, vitrage, etc.). Ainsi, les bâtiments sont représentés par des “zones thermiques” distinctes, la végétation basse est simulée avec un modèle de toiture végétalisée incorporant le bilan hydrique complet et les arbres sont supposés être des masques proches (sans calcul d’évaporation). La figure suivante illustre le du modèle principe.

Zones themriques
Fig. 4 : Représentation des différentes « zones thermiques » dans le modèle développé.

L’intégration des facteurs de forme de rayonnement est désormais possible grâce à des développements interne et à la publication de la librairie Python pyViewFactor !

Modèle aéraulique

L’approche de “soufflerie numérique” décrite en détail ici est mise en oeuvre afin de calculer les champs des vitesses à l’échelle horaire, dans le respect des critères et bonnes pratiques de modélisation. Un exemple de résultat est fourni ci-après Fig. 5, montrant l’amplitude de la vitesse d’air à un instant donné sur le parvis de la gare de Strasbourg.

Strasbourg aero
Fig. 5 : Champ des vitesses à un instant donné sur le parvis de la gare de Strasbourg.

Un coproduit : l’intégration des coefficients locaux de convection

Un coproduit de la simulation aéraulique intéressant à valoriser est la vitesse d’air locale proche des parois : en effet, celle-ci influe sur le coefficient d’échange convectif du modèle de simulation thermique dynamique.

L’animation ci-dessous donne les écarts de température de surface. On constate l’effet non négligeable de la convection liée au vent, avec une amplitude de 4°C d’écart positif ou négatif.

Coefficients locaux
Fig. 6 : Différences de températures de surface avec/sans coefficients d’échange locaux sur un cas de démonstration.

Un (autre) coproduit : l’influence de l’environnement urbain sur les consommations d’énergie

Le fait de simuler la scène urbaine dans sa globalité avec une séparation des zones thermiques donne les consommations d’énergie par bâtiment (chauffage, climatisation, électricité) en sus du niveau de confort en extérieur, permettant une approche holistique du problème.

scene urbaine
Fig. 7 : Géométrie de différents bâtiments dans une scène urbaine.

Principe du couplage faible

Afin de s’épargner les calculs de CFD anisotherme, on se propose de négliger l’influence de la “flottabilité” ou poussée d’Archimède sur les mouvements d’air : on suppose que la vitesse d’air l’emporte sur la différence de température entre l’air et les surfaces à son contact. Autrement dit, on néglige la convection naturelle.

Cette hypothèse forte est vraie en présence de vent et simplificatrice en son absence. L’approche de modélisation, à défaut d’être exacte, permet de réduire considérablement l’effort calculatoire et est plus pertinente que de renoncer à procéder au calcul.

Sous cette hypothèse, celui-ci se réduit à un “simple” bilan thermique en régime permanent pour chaque maille (voir figure ci-après pour le cas 2D), conformément au principe de conservation de l’énergie.

scene urbaine
Fig. 8 : Schéma des contributions au bilan sur une maille pour le calcul de la température d’air.

Cette approche simplifiée permet de résoudre à la fois le champ scalaire des températures et celui des humidités. Ainsi l’influence de l’évapotranspiration sur la température et la quantité de vapeur d’eau dans l’air ambient sont également prises en compte.

Un exemple de résultat est présenté sur la figure ci-dessous, montrant les isovolumes supérieures de 2°C à la température d’entrée d’air dans le volume maillé. On peut y observer l’augmentation des températures d’air dans les zones de recirculation en aval de l’écoulement, derrière les bâtiments.

couplage
Fig. 9 : Écart de température avec la température d’entrée dans le domaine fluide - influence des zones de recirculation.

Un mot sur la modélisation du flux solaire absorbé par l’eau

Dans les sections qui suivent, quelques mots sur la modélisation du rayonnement solaire absorbé par l’eau, phénomène peu traité dans la littérature pédagogique, qu’il nous a semblé bon de détailler ci-dessous.

Introduction au problème

Le rayonnement solaire est constitué de longueurs d’ondes de l’ordre de \(0,1 \le \lambda \le 2,5\) [µm]. Celles-ci sont absorbées différemment par les milieux qu’elles traversent, à l’instar des infrarouges qui sont absorbés et réfléchis par le verre (opaque au rayonnement infrarouge), produisant ainsi l’effet de serre.

On considère que le flux solaire est totalement absorbé après avoir parcouru \(\sim\)90 [m] dans l’eau. La fraction d’énergie restante à cette profondeur est cependant très faible : à une profondeur de \(\sim 2\) [cm], 25% du rayonnement a déjà été absorbé, principalement dans les infrarouges [ Rabl & Nielsen 1975 ].

On peut retenir les points suivants :

  • l’infrarouge est intégralement absorbé dans les premiers centimètres,
  • le rayonnement de courte longueur d’onde pénètre l’eau sur \(\sim 90\) [m],
  • à 10 [cm] de profondeur, 45% du rayonnement a été absorbé,
  • à 1 [m] de profondeur, 65% du rayonnement a été absorbé.

Il convient donc de disposer d’un modèle permettant de représenter l’absorption en fonction de la profondeur, de manière différenciée en fonction de la bande de longueur d’onde considérée.

Modèle d’absorption du rayonnement

Le flux solaire est absorbé différemment en fonction de la longueur d’onde du spectre. [ Kaushik 1980 ] propose une formulation où la transmissivité en fonction de la profondeur est présentée comme la somme des transmissivités dans cinq bandes de longueurs d’onde différentes, telle que :

$$ \tau (z) = \sum_{i=1}^{5}\mu_i\exp^{-\nu_i z} $$

Les coefficients \(\mu_i\), \(\nu_i\) pour chaque bande de longueur d’onde sont donnés dans la table qui suit.

Plage de longueur d’onde [µm]Fraction de l’énergie solaire \(\mu_i\) [-]Coefficient d’extinction \(\nu_i\) [1/m]
0,2-0,60,2370,032
0,6-0.750,1930,450
0,75-0,90,1673
0,9-1,20,17935
1,2-500,224255

On constate que la répartition de l’énergie du spectre solaire par bande représentée par le coefficient \(\mu_i\) est proche de la fraction de l’énergie comprise dans le spectre de référence ASTM G-173 , comme indiqué sur la figure qui suit (sur celle-ci, le spectre théorique du soleil “corps noir” est aussi présenté).

M0k2
Fig. 10 : Energie du spectre ASTM par bande de longueur d’onde et émission du corps noir à 5800 K.

Le coefficient de transmission \(\tau(z)\) en fonction de la profondeur obtenu avec l’équation ci-avant est illustré ci-dessous.

tau z
Fig. 11 : Transmissivité en fonction de la profondeur d’après l’équation de Kaushik.

Remarque — La formule de Kaushik est valable pour de l’eau pure. En fonction de la turbidité du milieu aqueux considéré, l’absorption peut bien sûr être plus conséquente.

Intéressons-nous maintenant au flux absorbé par une tranche d’eau à la profondeur \(z\) , tel que représenté sur la figure suivante. Le flux absorbé est donné par la variation de la transmissivité en fonction de la profondeur. En effet, celle-ci diminue du fait de l’absorption du rayonnement par le milieu environnant. On peut donc écrire que le flux absorbé dans une tranche comprise entre \(z\) et \(z +\Delta z\) vaut :

$$ \varphi_{\text{a}} = -\left( \tau \left( z +\Delta z \right) - \tau(z) \right) \varphi_{\text{s}} $$

Absorption solaire
Fig. 12 : Flux solaire absorbé par une couche d’eau.

Validation exprérimentale

[à venir]